L'association l'art de lire a été fondée par Jean Bollack avec d’autres en 2007. Christoph König en est aujourd’hui le président, Philippe Rousseau le vice-président, Werner Wögerbauer le trésorier et Isabelle Kalinowski la secrétaire.
Le propre de cette association a été jusqu’ici la discrétion : elle a soutenu Jean Bollack dans sa production et dans la promotion de ses écrits. Il faut entendre ici « discret » au double sens du terme : Jean Bollack défendait et faisait entendre la particularité de son œuvre, ses amis soutenaient sa voix – et (par discrétion) ils ne prenaient pas eux-mêmes la parole dans ce cadre, mais ailleurs. Son poids ne pouvait pas être le poids d’une institution. Mais les choses ont changé. Nous comprenons mieux maintenant ce que nous avons perdu : une énergie et une part du monde que Jean Bollack avait construite et entretenue par sa force et dans laquelle nous avions droit de cité. Bien entendu, le droit de cité n’était pas acquis une fois pour toutes, il était sans cesse remis en jeu dans l’agon amical. La force dont je parle et qui nous portait était une force qui cultivait la contradiction (c’est justement là qu’il fallait s’affirmer) et qui soulignait le sérieux de l’objet et, par là même, l’importance de notre travail. Comment créer à nouveau, post mortem, cette inquiétude sérieuse qui représentait le fondement de notre productivité ? Il s’agit là, d’une part, d’une tâche qui incombe à chacun d’entre nous ; Jean Bollack nous y a exhortés suffisamment souvent. D’un autre côté, elle touche à l’actualité de cette oeuvre et à sa productivité : celles-ci se manifestaient chaque fois qu’il abordait ou que nous abordions avec lui une nouvelle discipline universitaire et que celle-ci, du coup, se transformait (ou – un aspect de discrétion involontaire – était contrainte de changer dans la compréhension de son objet). Ces quelques pistes suggèrent ce que peut impliquer le projet de poursuivre l’œuvre de Jean Bollack : il s’agit d’ouvrir des possibilités d’échanges contradictoires (le beau mot allemand « Auseinandersetzung » désigne, à travers le préfixe « aus », la séparation qui est un préalable à la discussion).
Les archives scientifiques de Jean Bollack (jusque là conservées sur les deux sites des Barreyroux et de la rue de Bourgogne à Paris) ont été transférées au Schweizer Literaturarchiv de Berne, dans une Suisse dont Jean Bollack était proche depuis son enfance à Bâle et à cause d'amitiés comme celle de Jean Starobinski. Les principes de classification avaient été fixés par Jean Bollack et le classement réalisé par Mayotte Bollack, Aude Engel, Myrto Gondicas, Judith Deschamps, Rossella Saetta Cottone (lire Jean Bollack de Bâle à Berne, par Stéphanie Cudré Mauroux, des Archives littéraires suisses de Berne LIEN). L'association l'art de lire est heureuse de proposer, en collaboration avec le Schweizer Literaturarchiv, des bourses de recherche de courte durée finançant un travail sur ces archives Bollack de Berne (pour tout renseignement, contacter isabelle.kalinowski@ens.fr).
Des publications sont en cours : une version augmentée du recueil La Grèce de personne est parue en 2017 chez Harvard University Press sous le titre The Art of Reading. From Homer to Paul Celan dans une traduction due à Catherine Porter et Susan Tarrow ; les pensées Au jour le jour (parues en 2012, le dernier ouvrage sorti de son vivant), traduites en allemand par Bernd Schwibs et Achim Russer, sont en préparation au Wallstein Verlag ; la revue de théâtre viennoise Maske und Kothurn a consacré un de ses récents numéros aux travaux de Jean Bollack sur la tragédie antique (et moderne) ; une édition allemande des études sur Mallarmé (qui, longtemps, a été secrètement au cœur de la réflexion poétique de Jean Bollack) est parue chez Matthes&Seitz, dans une traduction de Tim Trzaskalik. D’autres titres encore sont en préparation.
Notre association a pris part aussi bien à la classification des archives qu’au lancement des publications que j’ai énumérées.
S’agit-il là de publications posthumes ? Oui, évidemment ; pourtant, nous souhaitons replacer l’œuvre de philologue, de traducteur, de philosophe et de critique littéraire de Jean Bollack dans un ante quem (quelle qu’en soit la date). Le sérieux de Jean Bollack avait deux objectifs : reconstruire l’histoire des sciences sur un mode polémique, et pratiquer une lecture insistante (nous allons continuer à nous casser la tête pour en reconstituer la méthode). Ces deux objectifs ont été marqués par la contemporanéité de Jean Bollack. Aussi longtemps qu’elle persistera, son œuvre conservera sa présence – placée sous le signe d’un examen critique.